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GUNDRAMM - [Charis]

Parmi les ruines, la nuit. Un courant d’air néfaste survole des décombres, gardiens silencieux des souvenirs. Peu importe où puisse se porter le regard du voyageur, si voyageur il eût, il n’y a rien. Rien d’autre que l’odeur pestilentielle de la mort et des regrets.

Un faible souffle se fait, parfois, entendre dans ces contrées : se faufilant de pierre en pierre, parcourant ce qu’étaient autrefois les rues animées de la bourgade déchue, un homme-chat mène une existence marquée du double sceau de la solitude et de la sagesse. Les serpents sont sa seule musique, la mort est sa seule compagne.

Cet homme-chat n’a pas connu, et n’en a aucunement l’envie, d’autres consciences que la sienne : exilé malgré lui dans les profondeurs de son esprit, il est parvenu à tuer le temps en se plongeant dans les nombreux ouvrages de toutes sortes que les habitants, les rares ayant survécu, ont laissés derrière eux en toute hâte ; de là lui vient une connaissance assez générale de divers domaines, aussi vaine que vouée à disparaître avec lui. Les ruines sont un havre de paix, la solitude est une prison.

Le temps a suspendu son vol, le jour ne succède plus à la nuit, les ténèbres ont élu domicile et rien ne pourra les en déloger. Peut-être est-ce pour cela que cet hominidé aux allures de félin n’a pour seul véritable attribut qu’un intellect aussi rasoir que les morceaux de vitre jonchant les chemins recouverts d’herbe et de terre et aussi profond que les abysses où certaines lectures l’ont mené.

La lecture, toujours la lecture. Le corps enchainé dans ces ruines, la seule échappatoire à un ennui suicidaire consistait en la lecture. Lire. Toujours lire et toujours méditer le texte. C’est là justice que de rendre à l’oppressant de ce paysage mystique l’attrait qu’il suscite envers les sombres arcanes dont il se veut l’antichambre.

Jonché dans les décombres de quelque bibliothèque faisant office de résistance contre l’inexorable marche du Temps, se trouve un ouvrage d’une apparence la plus commune qui soit ; preuve en est que quiconque en eût aperçu le dos sur quelque étalage commercial n’en aurait même pas prêté la moindre once d’attention. Gloire soit rendue à l’ennui, frère gémellaire du temps qui, dans sa mortifère et impériale marche, a mené l’hominidé vers ce tome.

Le beau tuera le beau et le traître s’est lui-même trahi.
Le ciel, en un rictus sardonique, de nous s’est ri,
Le crépuscule des dieux, en un long glas, a retenti.

Par trop sibyllines, ces trois phrases n’en résonnèrent pourtant pas moins dans certaines alcôves de cet être solitaire.

Un tel triptyque, qui aurait laissé indifférent le plus équilibré des êtres, ne pouvait que susciter une curiosité frôlant à l’obsession chez cet hominidé. Les heures s’écoulant, la compagnie d’autres êtres lui faisant défaut, ce dernier se vouait à corps perdu à la recherche et la lecture de tous les textes disséminés dans ces ruines ou, quand cela lui était rendu possible au prix de multiples efforts dignes du plus acharné des zélotes, en-dessous d’elles.

Cet acharnement, malgré l’apport intellectuel, pour ne pas dire mystique, qu’il eut sur cet avare de connaissances, n’a pas été sans laisser de sévices manifestes sur son corps : la lumière du jour est pour lui une agression et les ongles qui lui servaient à creuser toujours davantage en direction du centre du monde ont laissé place à des cicatrices incarnadines, témoins des trop nombreux écoulements de sang ayant accompagné ce chercheur dans sa quête mystique.

C’est le corps meurtri et l’âme rendue sujette aux plus grands délires occultes que l’homme-félin en vînt à se détourner de tout ce qui devait constituer l’archétype d’un Shamaah : immolant sur le bûcher de sa foi fraîchement façonnée des siècles de servitude supportés avec discipline par ses ancêtres, faisant fi de la divinité de la paresse et de toutes les somptuosités de sa race, c’est dans un cortège lunaire de mort, d’occulte et d’élans mystiques que l’homme-félin sacrifia les derniers relents génétiques d’une ascendance qu’il ne devait jamais connaître pour se vouer désormais tout entier à l’art des ténèbres, seule présence qui fût à ses côtés depuis qu’il ouvrît les yeux dans ce paysage désolé où, nul n’osait s’aventurer hormis quelques âmes perdues en quête d’actes vainement héroïques qui devaient, pour toutes sans exception aucune, signer un arrêt de mort aussi violent qu’effroyable.

Il s’agira là d’un mystère insoluble, même pour les esprits les plus fins de tous les continents morts et à venir, que les raisons ayant motivé le départ de l’homme-félin pour entrer en compagnie de la civilisation humaine.

Quelques temps avant son départ, pour autant que le temps puisse être quantifié dans cette région où la nuit seule règne en jalouse marâtre, une idée lui vint en tête, possiblement susurrée par quelque murmure du vent au détour d’une ruine en déliquescence. Plutôt qu’une idée, un mot au sens -pour l’instant- insaisissable : Charis.

Charis sonnait comme la leçon de ténèbres qui lui manquait en vue de parfaire son grand œuvre, celui d’amener les ténèbres concentrées en ces ruines à se déferler sur la face du monde, ravageant toute forme de vie et plongeant, comme il s’en devait l’émissaire, le monde dans une déréliction sans fin.

La vision importe au voyageur ;
La voie du dieu qui engendre la peste.

Résolu à quitter son havre de ténèbres, le voyageur mortifère résolut de s’emparer d’un livre laissé vierge ainsi que d’un encrier et une plume arrachée à un oiseau mourant pour, avant que d’entamer l’ultime voyage, y inscrire, sur la première page, ces cinq lignes au sens obscur qui, pour lui, contiennent l’entièreté de ses motivations.


[Texte publié sur le forum Roleplay le 13 août 2020 à 00:45 ; consultable à cette adresse : http://slayersonline.info/affichage.php?forum=5&message=35239]